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Eve avait horreur des enterrements. Les fleurs, la musique funèbre, les discours interminables, les pleurs étouffés... Elle avait pourtant tenu à assister aux obsèques de Sharon DeBlass en Virginie, une excellente occasion d’observer à sa guise la famille et les amis réunis.
Le sénateur était au premier rang, le visage grave et les yeux secs, l’incontournable Rockman juste derrière lui. A la droite de la femme du sénateur qui paraissait en état de choc, se tenaient son fils Richard et sa belle-fille. La tête baissée et les yeux dissimulés derrière des verres teintés, Richard DeBlass ressemblait beaucoup à son père, bien qu’il soit plus mince et moins dynamique. Fine et élégante dans son tailleur noir cintré, Elizabeth, avocate comme son mari, semblait figée auprès de lui. Ses cheveux acajou, ondulés et brillants, encadraient un visage marqué par le chagrin et ses yeux rougis ne pouvaient retenir ses larmes. Que peut ressentir une mère qui vient de perdre son enfant ? se demanda Eve que cette question obsédait depuis toujours. Un peu à l’écart au bout de la rangée venait ensuite Catherine DeBlass, parlementaire comme son père, accompagnée de son mari et d’un adolescent dégingandé qui devait être son fils. D’une minceur presque maladive, elle ne pouvait détacher les yeux du cercueil vernis, couvert de roses, posé sur le catafalque devant l’autel.
Derrière eux, la nef était bondée. Les cousins, amis et connaissances se tapotaient les yeux ou regardaient autour d’eux, un peu hébétés, tandis que le prêtre officiait la cérémonie. Le Président avait envoyé un représentant et l’église abritait plus de députés que le restaurant du Congrès en pleine session parlementaire.
Malgré l’affluence, Eve n’eut aucun mal à repérer Connors dans l’assistance, cinq rangs devant elle de l’autre côté de la travée. Une âme solitaire au milieu de la foule, songea-t-elle. Son visage d’ange ne trahissait ni culpabilité ni chagrin. Imperturbable, il aurait tout aussi bien pu assister à une représentation de théâtre de qualité moyenne. Au premier abord, elle fut tentée de le taxer de froideur et d’indifférence. Mais l’intelligence qu’elle devinait dans son regard ne suffisait à expliquer sa foudroyante réussite économique. Il fallait y ajouter une bonne dose d’ambition. Le feu qui couvait sous la glace...
Alors que retentissaient les premiers accords de la Marche funèbre marquant la fin de la cérémonie, il tourna la tête vers l’arrière comme s’il cherchait quelqu’un. A la stupéfaction d’Eve, son regard énigmatique s’arrêta sur elle. Elle réprima un sursaut et soutint son regard pendant de longues secondes sans ciller ni détourner les yeux. Puis les rangs se vidèrent peu à peu et elle le perdit de vue dans la foule. Quand elle parvint à son tour dans la travée, il avait disparu.
Eve se joignit au long cortège de voitures et de limousines qui suivaient le corbillard vers le cimetière. Quelle tradition désuète ! songea-t-elle. Seules les familles conservatrices très aisées pouvaient encore se permettre d’enterrer leurs morts.
Dans l’intimité de sa voiture de location, elle profita de la lenteur du convoi pour enregistrer ses observations. Arrivée à Connors, elle fronça les sourcils et tapota nerveusement son volant.
— Pourquoi prendrait-il la peine d’assister aux obsèques d’une connaissance aussi vague ? murmura-t-elle dans son enregistreur de poche. Selon mes renseignements, leur première rencontre est très récente. Un rendez-vous en tout et pour tout. Comportement incohérent et suspect.
En franchissant les grilles du cimetière, Eve réprima un frisson. S’il ne tenait qu’à elle, elle ferait voter une loi contre les enterrements. Les pâles rayons du soleil ne parvenaient pas à chasser le froid glacial, encore renforcé par un vent vif et piquant. Un peu en retrait de l’assistance, elle fourra ses mains gelées dans ses poches. Une fois de plus, elle avait oublié ses gants. Sous le long manteau noir qu’elle avait dû emprunter, elle ne portait qu’un mince tailleur gris, le seul de sa garde-robe. Dans ses bottes de cuir non fourrées, ses orteils recroquevillés menaçaient de se transformer en glaçons.
L’inconfort l’aida à oublier un moment la tristesse des pierres tombales et l’odeur pesante de terre fraîchement retournée. Encore des discours, encore des pleurs... Elle rongea son frein jusqu’à la fin de l’oraison funèbre. Puis elle prit place dans la longue file des amis et connaissances.
— Toutes mes condoléances, sénateur DeBlass, ainsi qu’à votre famille, lui dit-elle quand elle parvint enfin à sa hauteur.
Le sénateur la foudroya de son regard dur et refusa de serrer sa main tendue.
— Epargnez-moi vos condoléances, lieutenant. Tout ce qui m’importe, c’est la justice.
— C’est aussi mon unique souci, rétorqua Eve du tac au tac, tendant la main à sa femme. Sincères condoléances, madame DeBlass.
Elle eut l’impression de serrer un fagot de brindilles cassantes.
— Merci d’être venue, répondit Anna DeBlass d’un ton morne, visiblement sous l’emprise d’un sédatif. Merci d’être venu, continua-t-elle de la même voix mécanique, alors que la file continuait d’avancer.
Avant qu’Eve n’ait pu arriver à la hauteur des parents de Sharon, une main se referma sur son bras. Elle se retourna. Rockman lui adressa un sourire mielleux empreint d’une gravité de circonstance.
— Lieutenant Dallas, le sénateur et sa famille apprécient votre compassion, dit-il en l’éloignant d’une main douce mais ferme. Vous comprendrez cependant aisément qu’en pareilles circonstances il serait difficile aux parents de Sharon de rencontrer sur la tombe de leur fille l’enquêteur chargé de son assassinat.
Eve se laissa entraîner avant de libérer son bras d’un geste brusque.
— Décidément, ce métier vous va comme un gant, Rockman. Voilà une façon délicate et diplomatique de m’inviter à aller voir ailleurs.
— Mais qu’imaginez-vous là ? répondit-il de sa voix onctueuse qui insupportait Eve. Simplement, le moment et le lieu me paraissent déplacés. Soyez cependant assurée de notre entière coopération, lieutenant. Si vous souhaitez interroger la famille du sénateur, je me ferai un plaisir de vous arranger une entrevue.
— Je préfère fixer moi-même mes rendez-vous, à l’heure et à l’endroit qui me conviennent. A propos d’interrogatoire, Rockman, riposta-t-elle, agacée par son sourire doucereux, avez-vous un alibi pour la nuit du meurtre ?
A la satisfaction d’Eve, le sourire du conseiller se figea. Mais l’homme se ressaisit vite.
— Le terme alibi me déplaît profondément, lieutenant Dallas.
— A moi aussi, répliqua-t-elle avec son plus beau sourire. C’est pour cela que j’adore les démonter. Vous n’avez pas répondu à ma question, Rockman.
— Cette nuit-là, je me trouvais à Washington-Est. Le sénateur et moi avons mis la dernière main à un projet de loi qu’il entend présenter le mois prochain.
— Le trajet est rapide entre Washington-Est et New York.
— Nous avons travaillé jusqu’à minuit, puis je me suis retiré dans la chambre d’ami du sénateur. Nous avons pris le petit déjeuner ensemble à sept heures le lendemain matin. Selon votre rapport, Sharon a été tuée à deux heures, ce qui me laisse pour agir une fenêtre très étroite.
— On arrive toujours à se faufiler par une fenêtre même étroite, rétorqua-t-elle dans le seul but de l’irriter.
Sur ces mots, elle pivota et le planta au milieu de l’allée. Aucune chance de ce côté-là, songea-t-elle, presque déçue. Le meurtrier se trouvait dans le Gorham Complex à minuit. Et puis Rockman ne pouvait impliquer son employeur, qui plus est le grand-père de la victime, sans que cet alibi soit solide comme le roc. L’étroite fenêtre venait de lui claquer au nez.
Soudain, elle remarqua Connors aux côtés d’Elizabeth Barrister. Celle-ci était pendue à son bras, tandis qu’il lui murmurait quelques mots à l’oreille. Plutôt intime comme comportement entre deux inconnus, se dit-elle, intriguée, quand Connors posa une main sur la joue droite d’Elizabeth et l’embrassa sur l’autre avant de s’entretenir tranquillement avec Richard DeBlass. Il s’approcha ensuite du sénateur, mais les deux hommes n’échangèrent pas de poignée de main et la conversation fut brève. Puis Connors s’éloigna vers la sortie, traversant seul la pelouse du cimetière entre les monuments funéraires.
— Connors !
Il se retourna. Eve crut discerner dans ses yeux une lueur furtive d’agacement, mêlé de chagrin et d’impatience. Mais elle disparut aussitôt et ses yeux bleus retrouvèrent leur indifférence insondable. Elle le rejoignit sans précipitation, serrant son long manteau.
— J’aimerais vous parler, dit-elle en sortant son insigne.
Il y jeta un rapide coup d’œil et plongea un regard interrogateur dans le sien.
— J’enquête sur le meurtre de Sharon DeBlass.
— Avez-vous pour habitude d’assister aux obsèques des victimes d’assassinat, lieutenant Dallas ? demanda-t-il d’une voix douce avec un soupçon de charme irlandais qui, dans l’esprit d’Eve, évoqua le whisky chaud à la crème.
— Avez-vous pour habitude d’assister aux obsèques de femmes que vous connaissez à peine ? répliqua-t-elle du tac au tac.
— Je suis un ami de la famille. Vous êtes frigorifiée, lieutenant.
Eve fourra ses doigts gelés dans les poches de son manteau.
— Je n’ai pas réussi à vous joindre plus tôt.
— J’étais en voyage, répondit-il laconiquement.
La tête penchée, Connors observa la jeune femme qui venait de l’interpeller. Ses cheveux trop courts à son goût encadraient un visage très intéressant : intelligent, tenace, sensuel... Dans moins d’une minute, songea-t-il, elle va se mettre à claquer des dents.
— Ne serait-il pas plus commode de discuter dans un endroit plus confortable ?
— Je n’ai que quelques minutes. La prochaine navette pour New York part bientôt.
— Rentrons donc ensemble. Cela vous laissera le temps de me passer sur le gril.
— De vous interroger, corrigea-t-elle entre ses dents, agacée de le voir tourner les talons et s’éloigner sans même lui demander son avis.
» Juste quelques questions, insista-t-elle en le rattrapant. Nous fixerons un rendez-vous plus formel à New York.
— Je déteste perdre du temps. Et vous aussi, il me semble. Avez-vous loué une voiture ?
— Oui.
Il s’arrêta à la hauteur d’une longue limousine noire. Un chauffeur en livrée lui ouvrit la portière arrière. Connors tendit la main, attendant qu’elle lui remette la carte-contact de son véhicule.
— Mon chauffeur va s’en occuper.
— C’est inutile, je vous assure.
— Vous et moi avons la même destination, lieutenant Dallas. Bien sûr, rien ne vous empêche de prendre une navette et d’appeler mon bureau pour un rendez-vous. Vous pouvez aussi profiter de l’intimité de mon jet et de mon entière attention pendant le voyage.
Après une hésitation, Eve sortit la carte de sa poche et la laissa tomber dans la main toujours tendue. Avec un sourire satisfait, Connors l’invita à monter dans la voiture où elle s’installa pendant qu’il donnait ses instructions au chauffeur.
Durant le trajet jusqu’à l’aéroport, ils restèrent tous deux silencieux. Tandis qu’Eve savourait la chaleur du véhicule qui réchauffait ses membres engourdis, Connors ne la quitta pas des yeux. Alors, comme ça, elle est flic, songea- t-il, déconcerté. Cette idée ne lui serait pas venue à l’esprit. Bizarre, d’ordinaire son instinct était plus fiable. Dans l’église, son regard avait été attiré par cette jolie brune élancée aux yeux dorés comme le miel et à la bouche sensuelle. Mais il était à mille lieues de penser qu’elle était de la police. Dommage...
Eve détestait être impressionnée. Mais quand elle monta à bord du jet privé de l’homme d’affaires, elle ne put s’empêcher d’écarquiller les yeux devant les luxueux fauteuils en cuir et les tapis d’Orient qui meublaient la cabine décorée avec raffinement. Une hôtesse en uniforme vint à leur rencontre.
— Un cognac, monsieur ? demanda-t-elle sans paraître s’étonner de la présence d’une inconnue aux côtés de son patron.
Connors se tourna vers Eve.
— Peut-être préférerez-vous un café si vous êtes en service, lieutenant ?
Eve hocha la tête.
— Alors un café et un cognac, Diana.
— C’est le célèbre JetStar 6000 de Connors Industries, n’est-ce pas ? demanda Eve, tandis que l’hôtesse la débarrassait de son manteau.
— Exact. La conception nous a pris deux ans, expliqua-t-il en l’invitant à s’asseoir. Vous allez devoir boucler votre ceinture pour le décollage.
Puis il se pencha vers l’intercom placé près de son siège.
— Autorisation de décoller dans trente secondes, lui signala le commandant de bord.
L’appareil atteignit son altitude et sa vitesse de croisière sans même qu’Eve ait ressenti la désagréable impression d’être plaquée sur son fauteuil comme dans les vols commerciaux classiques. L’hôtesse leur servit leurs boissons, accompagnées d’un plateau de fromages et de fruits frais. Un parfum délicieux montait de la tasse fumante. Eve en avala une petite gorgée... et laissa presque échapper un soupir d’aise. C’était du vrai café de Colombie. Rien à voir avec le concentré végétal qui le remplaçait depuis la disparition des forêts vierges à la fin des années 2020.
— Depuis quand connaissiez-vous Sharon DeBlass ? commença-t-elle après avoir siroté sa tasse en fermant les yeux.
— Je l’avais rencontrée récemment chez des connaissances communes.
— Vous disiez être un ami de la famille...
— De ses parents, précisa Connors sans se troubler. Je connais Beth et Richard depuis plusieurs années. A l’époque, Sharon était à l’université, puis en Europe. Nos chemins se sont croisés seulement quelques jours avant sa mort.
Il sortit un étui plat en or de sa poche intérieure. Eve fronça les sourcils quand il prit une cigarette et l’alluma.
— Le tabac est illégal, Connors.
— Sauf dans l’espace aérien libre, les eaux internationales et les propriétés privées, corrigea-t-il avec un sourire à travers un léger filet de fumée bleutée. Lieutenant, ne pensez-vous pas que la police a plus intéressant à faire que d’essayer de réglementer nos vies et notre moralité ? Vous aimez les règles et l’ordre, n’est-ce pas, lieutenant ?
La question semblait anodine, mais Eve perçut l’ironie sous-jacente. Elle choisit de l’ignorer.
— Possédez-vous un Smith & Wesson calibre 38, modèle 10, d’environ 1990 ?
Il inspira une longue bouffée et réfléchit un instant, la cigarette rougeoyante serrée entre ses longs doigts élégants.
— Il me semble que oui. C’est avec ce genre d’arme que Sharon a été tuée ? — Accepteriez-vous de me la montrer ?
— Bien sûr, quand vous voulez.
Trop facile, songea Eve avec suspicion.
— Vous avez dîné avec la victime la veille de sa mort. Au Mexique.
— Exact, confirma Connors qui écrasa sa cigarette et se cala dans son fauteuil, son verre de cognac à la main. Je possède une petite villa sur la côte Ouest. J’ai pensé qu’elle aimerait l’endroit. Elle n’a pas été déçue.
— Avez-vous eu des relations physiques avec Sharon DeBlass ?
Le regard de Connors pétilla, mais Eve ne put dire si c’était d’amusement ou d’agacement.
— Vous voulez sans doute me demander si j’ai couché avec elle ? Eh bien, non, lieutenant. Nous nous sommes contentés de dîner.
Il prit son temps pour choisir une belle grappe de raisin blanc.
— J’apprécie les belles femmes et aime passer du temps en leur compagnie. Mais je n’ai jamais recours aux professionnelles pour deux raisons : premièrement, je trouve inutile de payer pour le sexe... (il but une gorgée de cognac et la regarda par-dessus son verre)... et deuxièmement, j’ai horreur de partager. Et vous ? demanda-t-il avec défi après une brève pause.
Eve choisit d’ignorer le nœud qui s’était formé dans son estomac.
— Nous ne parlons pas de moi.
— Moi, si. Vous êtes une femme superbe et, depuis un quart d’heure, nous sommes seuls. Pourtant, nous n’avons partagé qu’un café et un cognac. Je me conduis comme un vrai gentleman, n’est-ce pas ? fit-il avec un sourire amusé devant l’irritation mêlée d’étonnement qui transparaissait dans les yeux d’Eve.
— A mon avis, votre relation avec DeBlass avait un tout autre parfum.
— Tout à fait d’accord, approuva-t-il choisissant une autre grappe qu’il lui tendit.
Eve l’accepta et croqua avec délices un grain fruité et acidulé. La gourmandise est un vilain défaut, se réprimanda-t-elle, un peu honteuse de sa faiblesse.
— L’avez-vous revue après votre dîner au Mexique ?
— Non. Je l’ai déposée chez elle vers trois heures du matin et je suis rentré chez moi. Seul. — Pourriez-vous me donner votre emploi du temps durant les quarante-huit heures qui ont suivi votre retour ?
— J’ai passé les cinq premières heures dans mon lit. Pendant le petit déjeuner, j’ai participé à une vidéoconférence. Vers huit heures et quart. Vous pouvez vérifier.
— Je n’y manquerai pas, soyez-en sûr.
Cette fois, il lui adressa ce sourire charmeur qui fit tressaillir son cœur.
— Je n’en doute pas. Vous me fascinez, lieutenant Dallas.
— Et après la vidéoconférence ?
— Elle a pris fin vers neuf heures. J’ai travaillé jusqu’à dix heures, puis quelques rendez-vous m’ont occupé plusieurs heures à mon bureau, répondit-il, sortant de sa poche un agenda miniaturisé. En désirez-vous la liste ?
— Je préfère que vous me fassiez parvenir une disquette au Central.
— Aucun problème. Je suis rentré chez moi à dix-neuf heures. Je recevais plusieurs cadres d’une de mes entreprises de production japonaises, Nous avons dîné à vingt heures. Dois-je vous envoyer le menu ?
— Epargnez-moi vos sarcasmes, Connors.
— Je tiens à être exhaustif, lieutenant. La soirée s’est terminée tôt. Vers vingt-trois heures, mes invités m’ont quitté. Je suis resté seul, avec un livre et un cognac. Vers sept heures, j’ai bu ma première tasse de café. A propos, en désirez-vous une autre ?
Eve aurait pu se damner pour une deuxième tasse, mais elle secoua la tête avec détermination.
— Huit heures seul ! Quelqu’un vous aurait- il parlé, ou vu, pendant tout ce temps ?
— Non, personne. Je devais me rendre à Paris le lendemain et je souhaitais passer une soirée tranquille. A l’évidence, j’ai mal choisi mon moment. Mais si j’avais l’intention d’assassiner quelqu’un, j’aurais été mal inspiré de ne pas m’assurer un alibi, non ?
— Ou trop arrogant pour vous en soucier, rétorqua Eve. Vous contentez-vous de collectionner les armes anciennes, Connors, ou savez- vous aussi vous en servir ?
— Je suis un excellent tireur, répondit-il, posant son verre vide sur une tablette en acajou. Je me ferai un plaisir de vous en faire la démonstration quand vous viendrez voir ma collection. Demain vous conviendrait-il ?
— Parfait.
— Disons dix-neuf heures ? Je suppose que vous connaissez l’adresse, dit-il en se penchant vers elle.
Au contact chaud et vibrant de sa main sur son bras, Eve ne put réprimer un frisson.
— Vous devez vous attacher, expliqua-t-il d’une voix douce. Nous allons atterrir d’un instant à l’autre.
Il boucla lui-même sa ceinture, se demandant avec curiosité si c’était l’homme ou le suspect qui la rendait aussi nerveuse. Ou bien peut-être un peu des deux...
— Eve, murmura-t-il. Un prénom si simple et si féminin. Je me demande s’il vous va.
Embarrassée, Eve resta silencieuse tandis que l’hôtesse venait desservir.
— Etes-vous déjà entré dans l’appartement de Sharon DeBlass ? demanda-t-elle ensuite, préférant revenir sur un terrain purement professionnel.
Sous cette carapace se cachent sûrement beaucoup de douceur et de fougue, songea Connors en se calant dans son fauteuil. Peut- être aurait-il un jour l’occasion de le savoir par lui-même ?
— Pas tant qu’elle y habitait. Autant que je m’en souviens, je n’y ai jamais mis les pieds, mais c’est certainement possible, répondit-il avec un sourire en bouclant sa propre ceinture. Comme vous le savez sûrement, je suis propriétaire du Gorham Complex.
Sur ces mots, il jeta un regard distrait par le hublot, tandis que la Terre se rapprochait d’eux à une vitesse vertigineuse.
— Avez-vous un moyen de transport à l’aéroport, lieutenant, ou puis-je vous déposer ? demanda-t-il avec un flegme qui agaça Eve au plus haut point.